La tension est encore montée d'un cran ces derniers jours dans "l'affaire" mettant en accusation une Eglise sud-africaine affiliée à CTMI, la Grace Gospel Church, ainsi que, à travers elle, l'Eglise Chrétienne de Curepipe et ses dirigeants. La tempête déclenchée début novembre par certains médias mauriciens vient de prendre encore plus d'ampleur ces derniers jours (voir les articles ravageurs publiés par l'Hebdo, Défi Plus ou la toute dernière "Une" de l'hebdomadaire Week-End datée du 6 décembre dernier) et des personnalités du monde religieux ou politique local n'hésitent pas, semble-t-il, à prendre partie dans la polémique, comme, selon la page d'accueil du site des tabloïds Defi-Plus et Hebdo, le vicaire général du diocèse de Port-Louis, ou comme, selon Week-End, Paul Bérenger, le leader fondateur du MMM (Mouvement Militant Mauricien).
En réponse à ces attaques, on voit apparaître, sur la toile, des sites internet ou des blogs créés par Miki Hardy lui-même, par sa femme Audrey - très largement mise en cause elle aussi dans les allégations envers les pratiques jugées condamnables de L'ECC - voire par des membres de l'Eglise présentées comme des "victimes de la secte" par les médias. Le but est clairement la défense du mouvement créé par Miki Hardy, par des lettres ouvertes s'adressant notamment aux parents de jeunes adultes sud-africains membres de l'Eglise. Ces parents, à l'origine des plaintes contre CTMI, se sont rassemblés en créant une association du nom de CTMI Concerned Parents qui essaie de mobiliser elle aussi l'opinion publique par le biais de son site accessible sur le Net.
Photo : le couple Audrey et Michel Hardy, en provenance de l'article de l'Express de Maurice daté du 08/12/2009, disponible en ligne ici. Le journaliste y fait montre d'un peu plus de prudence dans ses allégations que certains de ses confrères et l'article présente l'intérêt de rapporter un récit, par Audrey Hardy, des tout débuts de l'ECC à Maurice.
Comme déjà dit dans l'article précédent, je n'ai aucune intention de faire un quelconque commentaire sur le fond de cette histoire. Je me bornerai ici, tout au plus, à quelques remarques sur la forme et le contexte :
- Depuis quelques années, plusieurs affaires judiciaires sont venues mettre sur le devant de la scène médiatique mauricienne la question des "sectes", terme compris dans les médias mauriciens de la même façon que dans une large part de l'opinion publique en France, au sens de "mouvements à visée spirituelle ou religieuse gangrénant le corps social en utilisant des pratiques répréhensibles, voire illégales, pour croître, s'enrichir, en aliénant des individus piégés comme victimes". En 2004, par exemple, un suicide collectif de 10 personnes à Saint-Paul met sur la sellette le mouvement américain Eckankar, issu de la nébuleuse mystico-ésotérique au sein de la mouvance New-Age. En 2003, c'est le décès d'un jeune garçon - sa mère, membre d'une Eglise évangélique charismatique étant accusée d'infanticide - qui déchaîne la vindicte des médias, ceux-ci multipliant à cette occasion les mises en garde contre "l'offensive des sectes" sans craindre au passage les amalgames, puisque dans les deux cas est citée, par facilité journalistique, la Mission Salut et Guérison, alors que dans "l'affaire Eckankar", cela est tout à fait hors de propos, et que dans le second fait divers, il n'existe qu'un lien très indirect : l'Eglise à laquelle appartenait la mère concernée étant apparemment une des très nombreuses dissidences des ADD.
- Enfin une autre "affaire" ayant défrayé la chronique à la charnière des années 1990 et 2000 concernait déjà l'ECC de Michel Hardy par le biais d'une association à but humanitaire, l'APSA (l'Association pour la Promotion de la Santé), créée par Audrey Hardy en 1985, organisation accusée d'infiltration dans le système médical local et de connivences avec une partie de la sphère politique, y compris au sein de l'appareil d'Etat. L'accusation était partie, à l'époque, de l'acheminement par l'APSA vers le Zimbabwe des enfants d'une fidèle de l'ECC décédée d'un cancer - "kidnapping" pour les médias, "nécessaire protection des enfants dans le cadre d'une douloureuse affaire de conflit familial" pour les responsables de l'APSA. Une commission avait été nommée à l'époque, le Select Committee, mais son action n'avait abouti à rien du fait de la dissolution du Parlement mauricien en 2000. Il est bien évident que les journalistes se sont empressés de faire remonter cette "affaire" en surface en laissant planer le doute sur l'arrêt des procédures, à l'époque, envers l'association d'Audrey Hardy et l'ECC.
- Par conséquent, le fait divers actuel est clairement en train de prendre une tournure de plus en plus politique, alors qu'au départ, il était surtout question dans les tabloïds mauriciens de "lavage de cerveau". iI est à ce propos intéressant de constater que cette presse mauricienne a repris exactement - jusque dans le vocabulaire - les arguments fondés sur la dénonciation de la "manipulation mentale" dont se rendraient coupables les "sectes", arguments que les associations antisectes ont été, en France, les premières à tenir et qui se sont vite répandus par le biais des médias au sein de l'opinion publique française. On peut constater également que la plupart des allégations répandues par ces journaux ne sont pas exprimées au conditionnel mais sur le mode de la condamnation : les suspects y sont d'emblée jugés coupables, avec des titres d'articles évocateurs, jouant sur la fibre populaire et l'émotionnel comme "Sexe, argent et religion (...) L'Eglise Chrétienne ma volé ma fille" (Défi Plus) ou "Secte et lavage de cerveau allégué - Les connexions de l'Eglise Chrétienne" (Week-End du 6 décembre). Quelques espaces sont toutefois laissés à la "défense" : une interview, à décharge pour l'APSA et l'ECC de deux des enfants de "l'affaire" de la fin des années 1990 et une d'Audrey Hardy (toutes deux dans Hebdo).
Pour autant, ce n'est plus tellement le fait divers de société qui est mis en avant aujourd'hui par les médias mauriciens, mais les liens supposés de l'ECC avec une partie de la classe politique mauricienne, notamment des époux Hardy, par le biais de leur fille Carole Hardy-Blatsch, collaboratrice de l'actuel ministre du Tourisme et de la Communication Xavier-Luc Duval (fils de Gaëtan Duval, X.L. Duval est le fondateur du PMXD : Parti Mauricien Xavier Duval, qui vient de fusionner avec le PMSD créé par son père)... Tout cela exhale un parfum de scandale politique sur lequel il serait tout à fait hors de propos de s'apesantir dans le cadre de ce blog.
Ce qui me semble par contre intéressant, personnellement, dans une pespective plus sociologique, c'est le lien, semble-t-il, de l'ECC avec l'Union Chrétienne (LUC), par le biais d'un de ses responsables, co-fondateur de LUC en 2006, Eric Germain. Ce mouvement, dirigé par l'historien indo-Chrétien Benjamin Moutou (les Indo-Chrétiens constituent un groupe de quelques milliers de Mauriciens d'origine indienne dont la conversion remonte à la période coloniale), a pour but la défense de la minorité chrétienne mauricienne, considérée comme défavorisée au plan social et politique dans le contexte mauricien, notamment pour ce qui concerne sa composante créole qui constitue de loin la plus grande part de la population chrétienne de l'île (on trouve les bases de ces revendications dans l'ouvrage de B. Moutou publié en 1996 : Les Chrétiens de l'île Maurice). Il a pu de ce fait être reproché à l'Union Chrétienne d'aller dans le sens du "communalisme" insulaire, malgré ses bonnes intentions de départ, en fondant ses revendications sur une base religieuse. Par contre, un autre mouvement récent, la Fédération des Créoles Mauriciens (FCM), fondé en 2007 par un très charismatique prêtre catholique créole, le Père Jocelyn Grégoire, défend, lui, la communauté créole en reprenant avec succès la thématique du "malaise créole" analysé dans les années 1990 par un certain nombre d'universitaires locaux.