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mercredi 10 juin 2015

Les pionniers du pentecôtisme à Madagascar (4) : Jules Randrianjoary

Le pasteur Jules Randrianjoary aujourd'hui
(source : www.vincent-esterman.eklablog.com)
Outre les missionnaires étrangers des années 1960-1970, certains des premiers convertis malgaches peuvent être considérés, eux aussi, comme des "pionniers" du pentecôtisme dans la Grande Île, du fait du rôle important qu'ils ont joué dans l'expansion de ce courant. Parmi eux, Jules Randrianjoary, pasteur et évangéliste "de grand talent" (Jacquier-Dubourdieu, 2009 : 371), fut certainement un des plus influents, du début des années 1970 à aujourd'hui, comme le souligne sur son blog (avec un peu d'exagération) le pasteur français Vincent Esterman (1) qui l'a invité récemment dans sa nouvelle église à La Réunion (voir ici).

Jules Randrianjoary est né en 1950. A l’âge de 19 ans, il se convertit dans une assemblée de Jesosy Mamonjy à Moramanga. En 1971, il commence à prêcher et implante une première église pour Jesosy Mamonjy dans son village de Bembary, puis en 1973, il entre à l’école biblique de l’église fondée par le couple Daoud. Il en sort au bout d’un an, se sentant appelé à prêcher en plein air comme évangéliste itinérant plutôt que voué à devenir pasteur en charge d’une assemblée. Prêchant à Antananarivo et dans différentes villes sur les places publiques et les marchés, il est soutenu financièrement par certains évangéliques français, comme, par exemple, par la future épouse de Clément le Cossec, Martine, dont Jules Randrianjoary fait la connaissance à Madagascar en 1973 (Le Cossec, 1991 : 10). L’évangéliste rencontre un succès grandissant, notamment auprès de jeunes, âgés pour certains de 12 ans à peine. Des groupes de ces jeunes, l’accompagnant sur les marchés pour prêcher à ses côtés, s’étoffent ainsi peu à peu.

En 1975, le président des ADD de Madagascar l’invite à venir prêcher régulièrement dans l’église principale d’Isotry, lui proposant même par la suite de devenir pasteur en charge d’une église au sein de la dénomination. Jules Randrianjoary accepte et est très vite ordonné. Deux ans plus tard, après avoir grandement contribué à la croissance de l’église, il reprend sa liberté et quitte les ADD pour recommencer ses prédications en plein air avec le mouvement de jeunesse qu’il a continué à diriger durant cette période et auquel il donne désormais le nom de Vie en Christ (VEC) ou, en malgache : Fiainana ao amin’i Kristy (FAAK).

Le mouvement rassemblant un nombre grandissant de jeunes enthousiastes, jusqu’à plusieurs milliers, le pasteur Jules l’institue en église à la fin de l’année 1980. Des assemblées se créent alors dans diverses villes de Madagascar : à Fianarantsoa, Tamatave, Toliara, etc., accompagnées d’une forte effervescence revivaliste, notamment lors des conférences organisées en plein air dans des stades combles. Toutefois, en 1985, le gouvernement malgache, accusant VEC de favoriser des débordements parmi la jeunesse, ferme l’église et interdit les meetings et les prêches en plein air. L’église continue sous forme de cultes à domicile, mais à partir de 1987, la plupart des pasteurs de VEC, accompagnés des fidèles de leur église locale, décident d’intégrer les ADD, tout comme leur leader qui retrouve ainsi la dénomination où il a été ordonné et avec laquelle il a toujours gardé de bonnes relations.

Jules Randrianjoary et sa famille
au début des années 1990
Source : Vie et Lumière, n° 136, 1992 
Vers la fin des années 1980 toutefois, les enseignements de la « troisième vague » pentecôtiste mondiale dite aussi « néo-charismatique » touchent Madagascar, notamment par le biais d’influences sud-africaines et se répandent dans une partie des ADD, principalement dans celles anciennement membres de VEC. Bon nombre de ces congrégations se séparent alors de leur dénomination pour devenir indépendantes, et une partie d’entre elles choisissent de prendre le nom de Rhema (sans avoir de liens direct, toutefois, avec la Rhema Church créée quelques années auparavant en Afrique du sud sous l’influence des enseignements du théologien néo-charismatique américain Kenneth Hagin), se rassemblant par la suite dans une fédération du même nom. En 1991, Jules Randrianjoary quitte à son tour les ADD, entraînant à sa suite les pasteurs et les congrégations qui lui sont restés fidèles. Il relance alors VEC comme église séparée (2).


En 1995, à la suite d’une « croisade » d’évangélisation menée en France par le pasteur Jules, VEC ouvre une filiale dans la région parisienne. L’antenne française croît régulièrement pendant quelques années sous la direction d’un responsable malgache, en recrutant principalement au sein de la diaspora, mais elle commence à péricliter au début des années 2000 du fait de problèmes de leadership. Jules Randrianjoary cherche alors à s’installer en France pour reprendre en main cette église, mais son visa est refusé. Il reste à Madagascar où sa popularité et son influence dans certains milieux le poussent à se proposer comme candidat à l’élection présidentielle de 2006, ce qui crée des dissensions au sein de son église entre les partisans de cette décision et ceux qui s’y opposent. Au moment de la crise politique de 2009, il s’installe pour de bon en France, dans la région parisienne, où il démarre une église évangélique charismatique principalement fréquentée par des Malgaches expatriés : « Messagers d’amour » (http://www.eglisemessagersdamour.fr/) (3). [Edit du 28.08.2015 : il est à signaler que cette Eglise est aujourd'hui affiliée à l'Union des Assemblées Protestantes en Mission (UAPM), tout comme l'assemblée fondée récemment à La Réunion par Vincent Esterman. Voir, en bas de page, ici et ].


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1. Vincent Esterman est un pasteur évangélique charismatique français né en Australie, fondateur en 1990 de la fédération d'églises "Vie chrétienne en France" (aujourd'hui Union des Assemblées Protestantes en Mission - UAPM) : voir ici. Il s"est installé à la Réunion en 2012 et y a depuis fondé une nouvelle assemblée : Espace Foi sans  frontières (http://xn--espace-foi-sans-frontires-5hc.re/WordPress3/).
2. Ces éléments biographiques sont proposés par Hennie Van Niekerk (Van Niekerk, 2006 : 74-75) dans sa recherche universitaire disponible en ligne : http://repository.up.ac.za/bitstream/handle/2263/29131/dissertation.pdf?sequence=1. Il existe toutefois quelques contradictions, au moins pour ce qui concerne les dates, avec ce qu'écrit le pasteur Le Cossec dans la revue Vie et Lumière à la suite de son voyage à Madagascar en 1991. Selon le pasteur Le Cossec, en effet, une moitié des groupes VEC créés par Jules Randrianjoary se sont joints aux ADD malgaches au cours des années 1980, alors que pour ce qui concerne l'évangéliste Jules : "Lors de notre séjour à Antananarivo [en 1991], nous avons au la joie de contribuer à son intégration dans les Assemblées de Dieu avec l'autre moitié des Eglises qui étaient sous sa responsabilité" (Vie et Lumière, n° 131, 1991 :  10). Comme il est encore question de l'évangéliste malgache plusieurs mois plus tard, dans la revue Vie et Lumière n° 136, il est possible que les dates données par Hennie Van Niekerk pour cette période soient erronées et que le pasteur Jules ait quitté définitivement les ADD de Madagascar en 1992, et non en 1991.
3.  Parmi les nombreux pasteurs formés à Madagascar dans le cadre de Vie en Christ, d'autres avaient fait ce choix de l'expatriation, avant même Jules Randrianjoary, comme par exemple la pasteure Perle Raliterason, fondatrice, en 2004, d'une Eglise à Colomiers près de Toulouse suivie d'une seconde en région parisienne : https://sites.google.com/site/cmtn31/historiques.


Réf. bibliographiques :


JACQUIER-DUBOURDIEU Lucile, « Le rôle des églises évangéliques dans la dérégulation et la recomposition du champ chrétien à Tananarive », in D. Nativel & F.V. Rajaonah, Madagascar revisitée. En voyage avec Françoise Raison-Jourde, Paris Karthala, 2009, pp. 352-379.
LE COSSEC Clément, « En mission dans l’océan Indien », Vie et Lumière, 131, 1991, pp. 10-12.
VAN NIEKERK Hennie, An Investigation of Senior Leadership and Organisational Structure in a Malagasy Congregational Setting, Department of Practical Theology, University of Pretoria, 2006 (disponible en ligne : http://repository.up.ac.za/bitstream/handle/2263/29131/dissertation.pdf?sequence=1).

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