Mon collègue Sébastien Fath ayant signalé sur son blog, en termes élogieux, la parution d'une enquête a priori intéressante sur les évangéliques en France dans le dernier numéro du Monde des religions (n° 53, mai-juin 2012, p. 6-11), je me suis procuré par curiosité un exemplaire de ce périodique. Après lecture, je dois avouer que je suis pour ma part un peu réservé sur certains points. Certes, l'enquête menée par la journaliste Maïté Darnault est très approfondie et permet de présenter un tableau fidèle, dans ses grandes lignes, à la réalité et à la complexité de cette mouvance aujourd'hui dans l'Hexagone. Pour autant, l'article ne me semble pas exempt de critiques.
Première remarque, concernant un choix formel qui m'a semblé d'emblée surprenant : pourquoi souligner, dans le texte, le fait que l'image d'une "population noire adepte d'une liturgie exubérante (...) n'est qu'un reflet partial [sic : je suppose que la journaliste a plutôt voulu écrire "partiel"] de la réalité évangélique", si c'est pour mettre en première page, ainsi que dans le sommaire, une photo risquant de renforcer cette image auprès du grand public? D'autant que, si l'on en croit la journaliste, le grand public en question serait désormais familiarisé avec ce visage de l'évangélisme en France. Il est vrai que le protestantisme issu des diverses vagues migratoires, très méconnu voilà encore une quinzaine d'années, est aujourd'hui relativement médiatisé, notamment pour ce qui concerne les assemblées majoritairement fréquentées par des migrants africains, antillais ou haïtiens, s'inscrivant pour la plupart dans le courant évangélique charismatique. A côté de quelques articles de fond, bon nombre d'enquêtes ont été effectuées à l'occasion d'évènements comme la Marche pour Jésus (qui mobilise une partie de ces milieux évangéliques allochtones à côté de leurs coreligionnaires hexagonaux), ou en réaction à des faits divers. La façon de présenter ces assemblées y est assez souvent susceptible de susciter l'inquiétude du lecteur - l'indépendance de bon nombre de ces communautés semble en effet instiller dans l'esprit des journalistes une suspicion quant à d'éventuelles dérives "sectaires". Par ailleurs, l'accent est généralement mis sur le côté spectaculaire, en insistant sur les manifestations et les pratiques charismatiques. Même si cela réfère à certaines réalités (communément répandues pour ce qui concerne les pratiques charismatiques, très marginales pour ce qui concerne les faits délictueux et autres "dérives" liées à ces Eglises), une partie des médias alimente ainsi les stéréotypes présents dans l'esprit de beaucoup de Français concernant d'une part l'évangélisme (suspecté d'être une "secte") et d'autre part la spiritualité de ces migrants (notamment africains) perçue comme relevant de "superstitions" exotiques.
En mettant en exergue, pour parler du protestantisme évangélique en France, une communauté majoritairement afro-caribéenne (d'ailleurs non pas au sein d'une Eglise indépendante, mais dans le cadre d'une Assemblée de Dieu dont le pasteur principal est un Français "blanc", Jean-Claude Boutinon), l'article du Monde des religions n'échappe pas, lui non plus, aux clichés. D'autant qu'après avoir envisagé les Eglises issues de l'immigration dans leur ensemble (p. 8), la journaliste évoque, parmi celles-ci, les Eglises dites "ethniques". Personnellement, je pense que ce terme est à employer avec beaucoup de précautions, car enfin, on pourrait désigner beaucoup plus judicieusement ainsi une assemblée uniquement composée de Parisiens bien "blancs", ("de souche", comme on dit dans certains milieux), que la plupart des Eglises issues de l'immigration où se côtoient souvent plusieurs ethnies, voire plusieurs nationalités... Cette catégorisation est d'autant plus discutable quand on voit les critères utilisés par la journaliste pour caractériser de telles communautés : un culte donné "uniquement en langue ou en dialecte régionaux", une "liturgie syncrétique", une autorité reposant sur le charisme d'un ou plusieurs "meneurs" [le terme "pasteur" est là soigneusement évité], en dehors des grandes fédérations évangéliques (p. 8). Si l'on prend en compte cette "définition", comment considérer alors, par exemple, les Eglises évangéliques hmongs en France qui célèbrent leurs cultes presque exclusivement en langue hmong, rassemblées autour de la culture hmong? Pour moi, si le terme d'Eglises "ethniques" a un sens, c'est pour ce genre d'assemblées qu'il devrait être employé, alors que la théologie et la liturgie (non charismatiques) en usage dans ces communautés hmongs n'ont rien de "syncrétique" et que la plupart des Eglises hmongs en France sont regroupées dans une fédération (la FECMIM) membre du réseau FEF ; leurs pasteurs se formant à l'Institut Biblique de Nogent sur Marne ou à la Faculté libre de Théologie évangélique de Vaux sur Seine...(1)
De fait, sous l'expression "Eglises dites 'ethniques'" employée dans cet article, sont visées ici, avant tout, les nombreuses communautés créées, dirigées et fréquentées majoritairement par des Africains ou des Caribéens, proliférant en France en dehors du champ protestant institutionnel hexagonal, alors même que l'indépendance de ces assemblées par rapport au champ autochtone n'implique pas pour autant qu'elles aient une "liturgie" ou un fonctionnement interne discutables (2). Pour ce qui concerne la liturgie, d'ailleurs, ou, de façon plus large, les pratiques et les discours en usage dans ces Eglises, il faut distinguer ce qui relève des cultures d'origine et ce qui relève d'un mode d'expression de la foi spécifique au courant doctrinal dans lequel s'inscrivent ces assemblées, ce que ne font pas forcément les journalistes. Ainsi, lorsqu'il est question de "liturgie exubérante", est-il question de chants, de danses ou d'autres marqueurs culturels liés aux sociétés d'origine, ou parle-t-on de pratiques charismatiques plus ou moins spectaculaires en usage dans bon nombre de ces communautés? Dans ce dernier cas, beaucoup de ces pratiques ne sont pas une particularité des Eglises issues de l'immigration africaine ou caribéenne, puisqu'elles se rencontrent aussi, et pas toujours sous des formes atténuées, dans certaines assemblées charismatiques autochtones, représentantes de la troisième vague pentecôtiste mondiale; les unes et les autres s'inscrivant en général dans les courants de la "théologie de la prospérité" ou du "combat spirituel" (3).
Malgré ces quelques réserves, l'article de Maïté Darnault est indubitablement à lire... Cependant, personnellement, ce qui m'a le plus intéressé dans ce numéro du Monde des religions, c'est certainement, dans le dossier "Psychologie et religion", les trois pages (p. 36-38) consacrées à l'"ethnopsychiatrie, thérapie culturelle" où sont évoquées les séances thérapeutiques au Centre Georges Devereux (Paris 8) sous le patronnage de Tobie Nathan, avec l'exemple d'un "cas clinique" concernant une famille réunionnaise ("cafre"), présenté sous forme de reconstitution jouée par des acteurs (extrait d'un documentaire datant de 2002, que je n'ai pas vu, intitulé : Le sexe des morts). En parcourant ces quelques lignes, je reste persuadé (ceux qui auront lu mon ouvrage sur le pentecôtisme à La Réunion comprendront probablement, je ne développerai pas plus ici) que les conceptions de Tobie Nathan concernant les problèmes psychopathologiques dans certains contextes culturels (4) peuvent aider à appréhender en partie les raisons de l'attractivité des Eglises pentecôtistes et charismatiques à travers le monde, notamment en Afrique, en Asie ou en Amérique latine, mais aussi en Occident en milieu migrant...
Addendum du 24/05/2012 : je viens de m'apercevoir (mieux vaut tard que jamais) que l'article de Maïté Darnault est en accès libre sur le site du Monde des Religions (avec une toute autre photo en accroche que dans la version papier, voir ici).
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1. De plus, selon Maïté Darnault, les Eglises "ethniques" ont souvent, dit-elle : "une durée de vie limitée, du fait de leur nature même (le dialecte se perd à la deuxième puis troisième génération) et de contraintes matérielles (absence de local, finances limitées, turnover pastoral)". Si effectivement certaines Eglises issues de l'immigration disparaissent après seulement quelques années voire quelques mois d'existence, ce n'est en tout cas certainement pas, d'après moi, pour la première raison invoquée par l'article, puisque nombre d'entre elles perdurent après être passé à l'usage exclusif de la langue française alors que, à l'inverse, des Eglises déjà anciennes en France, comme, en milieu luthérien et réformé, la FPMA (Fiangonana Protestanta Malagasy aty Andafy - Eglise Protestante Malgache à l'Etranger ) qui existe en tant que telle depuis 1959, conserve l'usage du malgache dans ses célébrations.
2. Ni même qu'elles soient complètement isolées par rapport au protestantisme autochtone, dans la mesure où on constate la connexion, sur un mode informel, d'un nombre grandissant d'assemblées et de réseaux évangéliques africains et caribéens à des réseaux français eux-mêmes non-institutionnels.
3. A ce propos d'ailleurs, il faut souligner que "l'évangile de la prospérité" est loin d'être "très minoritaire" dans l'Hexagone comme il est écrit dans l'article du Monde des Religions (p. 9), même s'il n'est pas dominant : il a pénétré, avec plus ou moins de réussite, dans tous les courants de la mouvance pentecôtiste-charismatique en France, s'exprimant de façon plus ou moins affirmée par le biais de pasteurs et de fidèles de différentes Eglises, notamment (mais pas exclusivement) parmi celles issues de l'immigration...
4. Voir par exemple Tobie Nathan, L'influence qui guérit, Paris, Odile Jacob, 1994.
"Marche pour Jésus" à Paris |
En mettant en exergue, pour parler du protestantisme évangélique en France, une communauté majoritairement afro-caribéenne (d'ailleurs non pas au sein d'une Eglise indépendante, mais dans le cadre d'une Assemblée de Dieu dont le pasteur principal est un Français "blanc", Jean-Claude Boutinon), l'article du Monde des religions n'échappe pas, lui non plus, aux clichés. D'autant qu'après avoir envisagé les Eglises issues de l'immigration dans leur ensemble (p. 8), la journaliste évoque, parmi celles-ci, les Eglises dites "ethniques". Personnellement, je pense que ce terme est à employer avec beaucoup de précautions, car enfin, on pourrait désigner beaucoup plus judicieusement ainsi une assemblée uniquement composée de Parisiens bien "blancs", ("de souche", comme on dit dans certains milieux), que la plupart des Eglises issues de l'immigration où se côtoient souvent plusieurs ethnies, voire plusieurs nationalités... Cette catégorisation est d'autant plus discutable quand on voit les critères utilisés par la journaliste pour caractériser de telles communautés : un culte donné "uniquement en langue ou en dialecte régionaux", une "liturgie syncrétique", une autorité reposant sur le charisme d'un ou plusieurs "meneurs" [le terme "pasteur" est là soigneusement évité], en dehors des grandes fédérations évangéliques (p. 8). Si l'on prend en compte cette "définition", comment considérer alors, par exemple, les Eglises évangéliques hmongs en France qui célèbrent leurs cultes presque exclusivement en langue hmong, rassemblées autour de la culture hmong? Pour moi, si le terme d'Eglises "ethniques" a un sens, c'est pour ce genre d'assemblées qu'il devrait être employé, alors que la théologie et la liturgie (non charismatiques) en usage dans ces communautés hmongs n'ont rien de "syncrétique" et que la plupart des Eglises hmongs en France sont regroupées dans une fédération (la FECMIM) membre du réseau FEF ; leurs pasteurs se formant à l'Institut Biblique de Nogent sur Marne ou à la Faculté libre de Théologie évangélique de Vaux sur Seine...(1)
Page d'accueil du site Internet de la FECMIM |
Malgré ces quelques réserves, l'article de Maïté Darnault est indubitablement à lire... Cependant, personnellement, ce qui m'a le plus intéressé dans ce numéro du Monde des religions, c'est certainement, dans le dossier "Psychologie et religion", les trois pages (p. 36-38) consacrées à l'"ethnopsychiatrie, thérapie culturelle" où sont évoquées les séances thérapeutiques au Centre Georges Devereux (Paris 8) sous le patronnage de Tobie Nathan, avec l'exemple d'un "cas clinique" concernant une famille réunionnaise ("cafre"), présenté sous forme de reconstitution jouée par des acteurs (extrait d'un documentaire datant de 2002, que je n'ai pas vu, intitulé : Le sexe des morts). En parcourant ces quelques lignes, je reste persuadé (ceux qui auront lu mon ouvrage sur le pentecôtisme à La Réunion comprendront probablement, je ne développerai pas plus ici) que les conceptions de Tobie Nathan concernant les problèmes psychopathologiques dans certains contextes culturels (4) peuvent aider à appréhender en partie les raisons de l'attractivité des Eglises pentecôtistes et charismatiques à travers le monde, notamment en Afrique, en Asie ou en Amérique latine, mais aussi en Occident en milieu migrant...
Addendum du 24/05/2012 : je viens de m'apercevoir (mieux vaut tard que jamais) que l'article de Maïté Darnault est en accès libre sur le site du Monde des Religions (avec une toute autre photo en accroche que dans la version papier, voir ici).
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1. De plus, selon Maïté Darnault, les Eglises "ethniques" ont souvent, dit-elle : "une durée de vie limitée, du fait de leur nature même (le dialecte se perd à la deuxième puis troisième génération) et de contraintes matérielles (absence de local, finances limitées, turnover pastoral)". Si effectivement certaines Eglises issues de l'immigration disparaissent après seulement quelques années voire quelques mois d'existence, ce n'est en tout cas certainement pas, d'après moi, pour la première raison invoquée par l'article, puisque nombre d'entre elles perdurent après être passé à l'usage exclusif de la langue française alors que, à l'inverse, des Eglises déjà anciennes en France, comme, en milieu luthérien et réformé, la FPMA (Fiangonana Protestanta Malagasy aty Andafy - Eglise Protestante Malgache à l'Etranger ) qui existe en tant que telle depuis 1959, conserve l'usage du malgache dans ses célébrations.
2. Ni même qu'elles soient complètement isolées par rapport au protestantisme autochtone, dans la mesure où on constate la connexion, sur un mode informel, d'un nombre grandissant d'assemblées et de réseaux évangéliques africains et caribéens à des réseaux français eux-mêmes non-institutionnels.
3. A ce propos d'ailleurs, il faut souligner que "l'évangile de la prospérité" est loin d'être "très minoritaire" dans l'Hexagone comme il est écrit dans l'article du Monde des Religions (p. 9), même s'il n'est pas dominant : il a pénétré, avec plus ou moins de réussite, dans tous les courants de la mouvance pentecôtiste-charismatique en France, s'exprimant de façon plus ou moins affirmée par le biais de pasteurs et de fidèles de différentes Eglises, notamment (mais pas exclusivement) parmi celles issues de l'immigration...
4. Voir par exemple Tobie Nathan, L'influence qui guérit, Paris, Odile Jacob, 1994.
Bonjour,
RépondreSupprimerJe n'ai pas lu l'article, mais je me dis que les difficultés des journalistes à sortir des lieux communs du public font peut être écho aux difficultés de reconnaissance de la notion "évangélique". "Evangélique" est une "catégorie" religieuse ; je ne sais même pas si c'est une confession, d'ailleurs. Les gens se donnent cette étiquette, pour mettre en relief leur volonté d'évangélisation.
Mais est-ce justifié ? Sans même discuter de la notion d'évangélisation, est-il justifié, du point de vue d'un observateur, que toutes ces églises aient un caractère identique, par lequel elles se distingueraient d'autres formes d'églises ?
C'est loin d'être évident je trouve, surtout qu'il y a, colée à cela, la caractéristique "charismatique", caractéristique partagée par nombre de catholiques.
Je trouve que les scientifiques, en reprenant telle que la notion "évangélique" n'aident pas le grand public à comprendre, ou alors il faudrait qu'ils explicitent mieux ce qu'elle veut dire ; et ceux, de leur point de vue de scientifique, pas pour répéter le discours des religieux.
Cordialement.
Bonjour,
RépondreSupprimerVous avez raison, ce n'est pas évident - et pas seulement pour les journalistes - de cerner les contours de ce qu'on appelle communément la "nébuleuse évangélique", d'autant que le terme "évangélique" peut désigner tout à la fois une branche du protestantisme, un courant au sein des Eglises protestantes réformée et luthérienne et même une "tendance" qui gagne du terrain au sein de confessions chrétiennes non protestantes (on parle "d'évangélicalisation" de certains milieux catholiques, par exemple)...
De plus, même si l'on ne parle que de la "branche" évangélique au sein du protestantisme, il faut reconnaître que ce n'est pas non plus facile de s'y retrouver, tant dans la multitude de dénominations que dans la grande diversité des options théologiques, toutefois, pour caractériser ce qui fonde l'identité commune des protestants évangéliques on se réfère habituellement aux quatre critères énoncés à leur propos par le sociologue anglais David Bebbington : l'insistance sur la notion de conversion (on ne naît pas "évangélique", on le devient) ; le rôle central de la bible, lue assez souvent de façon littérale (biblicisme) ; la centralité également du message chrétien de la croix (crucicentrisme) ; enfin, aspect important : l'insistance sur l'engagement militant du croyant. En sachant aussi que la famille évangélique se répartit entre deux pôles (voir sur ce point l'ouvrage de S. Fath dont je vous recommande la lecture : Du ghetto au réseau. Le protestantisme évangélique en France (1800-2005), Genève, Labor et Fidès, 2005) : le pôle "piétiste orthodoxe" qui préconise une vie pieuse, en conformité avec les enseignements des Evangiles, sans valorisation des manifestations charismatiques attribuées à l'action de l'Esprit-Saint (glossolalie, guérisons miraculeuses, etc.) et le pôle "pentecôtiste-charismatique" qui, lui, accepte et recherche ces manifestations.
A ce propos, d'ailleurs, ce n'est pas étonnant que cette caractéristique "charismatique" se retrouve aussi au sein du catholicisme, puisque le Renouveau charismatique catholique (RCC) est né à la fin des années 1960 (aux Etats-Unis, d'abord, puis dans le monde entier) de rencontres oecuméniques entre catholiques et protestants évangéliques charismatiques (pentecôtistes). Aujourd'hui, ce terme charismatique peut désigner de fait des chrétiens de confessions diverses : des protestants évangéliques aux options théologiques variés (selon qu'ils s'inscrivent dans ce que l'on appelle parfois la "première vague" mondiale du revivalisme charismatique - à savoir le pentecôtisme, né au tout début du XXe siècle, ou dans la "troisième vague" dite parfois "néocharismatique" apparue dans les années 1980), des protestants qui, au sein d'Eglises non charismatiques (réformées, luthériennes, baptistes, etc.), adoptent la même attitude que les pentecôtistes-charismatiques évangéliques envers les "dons de l'Esprit-Saint", des catholiques dans la mouvance du RCC, voire certains chrétiens orthodoxes...
Ceci dit, ce n'est pas sur cet aspect de la question que portent mes réserves concernant l'article de Maïté Darnault qui me semble au contraire bien cerner le sujet du protestantisme évangélique en France, mais plutôt sur certaines confusions à propos des Eglises issues de l'immigration ; confusions qui risquent, à mon avis, d'entretenir certaines idées fausses et certains stéréotypes dans l'esprit du grand public...
Bonjour,
SupprimerMerci pour vos précisions.
Au sujet du la reconnaissance des évangéliques par David Bebbington, il me semble qu'elle décrit bien ce qui les désigne.
Cependant, on reste dans un discours qui vient des évangéliques eux mêmes. De plus, bien des notions sont très difficiles à appréhender, même subjectivement ; c'est quoi la "centralité du message chrétien de la croix" ?
Si l'on s'aventure à essayer de parler de la "centralité..." on est forcément sous la menace d'un spécialiste qui dirait "à mais vous n'avez pas compris la centralité c'est bien plus fort que ce que vous dites je vais vous dire moi..." et blablabla.
C'est pareil avec la trinité, la double prédestination, et tant d'autres notions obscures à loisir : à reprendre le langage des religieux, on est forcément coincé au final.
Toutefois, ce langage n'est pas à rejeter : il forme communauté, vaille que vaille. Sébastien Fath semble être dans cette veine (de travailler à partir du langage des religieux).
Mais ce langage a ses limites, ses contradictions, ses questions. Et surtout ce n'est quand même pas un langage scientifique, sauf erreur. Exemple typique : le "problème" du charismatisme, que même les religieux ont du mal à discourir. (c'est dire ! )
Donc, si l'on rejette "la centralité du message chrétien de la croix", et tous les autres, comment faire ?
Question un peu brutale certainement, mais j'en reste là pour aujourd'hui :-) et vous remercie par avance de votre attention.
Cordialement.
Je ne trouve pas du tout votre question brutale, mais par contre très pertinente.
RépondreSupprimerLe problème est, me semble-t-il, celui de la délimitation de l'objet d'études. Au delà de la question des "évangéliques", il faut reconnaître que la difficulté en la matière est bien plus importante avec le protestantisme qu'avec, par exemple, le catholicisme, du fait de la grande diversité des expressions de la foi chrétienne que l'on rassemble sous l'étiquette "protestantisme" (définie sur des bases théologiques et historiques, d'après la conformité aux préceptes de base établis par les réformateurs du XVIe siècle : "Dieu seul", "l'Ecriture seule", etc.) En effet, au delà d'une base théologique commune, est-on bien dans un même "milieu", structuré par une "vision du monde" similaire ou suffisamment proche pour en affirmer l'identité si l'on considère, par exemple, d'une part un réformé luthérien français et, d'autre part, un fidèle "neocharismatique" brésilien de l'Eglise Universelle du Royaume de Dieu de l'évêque Edir Macedo? Sans parler des Eglises dites "indépendantes" en Afrique (Eglises kimbanguistes, harristes, zionistes, aladura, Christianisme Céleste,etc.) qui, bien qu'issues directement ou indirectement des missions protestantes, sont difficilement "classables" sans autre forme de procès dans le protestantisme.
Pour les évangéliques dans leur ensemble, et encore plus pour les "pentecôtistes-charismatiques, la difficulté est de même nature. On perçoit bien la proximité entre, par exemple, les pentecôtistes "classiques" type "Assemblées de Dieu" et le reste du protestantisme qui permet de les rattacher à la "famille" protestante (d'autant qu'on constate depuis quelques années, du côté de ces "pentecôtistes classiques", une tendance à la réaffirmation de leur identité protestante), mais on peut être plus dubitatif - c'est un euphémisme - pour certains évangéliques "néocharismatiques", certes marginaux, dont les pratiques sortent clairement du protestantisme (utilisation d'eau bénite ou d'objets chargés de la "puissance divine", etc.). Sans compter que, même chez des évangéliques charismatiques moins hétérodoxes, certains rejettent explicitement "l'étiquette protestante"...
...la suite dans le message suivant...
Pour ma part, sans doute parce que je suis ethnologue de formation et non historien ou sociologue des religions (à ce propos, David Bebbington n'est pas sociologue comme je l'ai écrit par erreur, mais historien, comme Sébastien Fath, d'ailleurs), je suis convaincu, depuis mes tous premiers travaux sur ces communautés religieuses, qu'il serait judicieux de dépasser la question des appartenances confessionnelles pour les envisager sous l'angle d'un "champ revivaliste charismatique" transconfessionnel, relevant de nouvelles formes d'expression chrétiennes du religieux populaire ; champ allant du pentecôtisme évangélique "classique" aux néocharismatismes dit "de troisième vague" en passant par les charismatismes intraecclesiaux (protestants, mais aussi catholiques, voire orthodoxes), certains messianismes juifs charismatiques... On pourrait aussi inclure dans ce champ d'étude les Réveils intra et extra-ecclésiaux charismatiques "pré-pentecôtistes" (je pense entre autres aux Eglises issues des diverses vagues de réveils au XIXe siècle en Inde ou au fifohazana malgache) et même aussi, éventuellement, certaines Eglises indépendantes africaines (je pense notamment aux Eglises zionistes d'Afrique du sud), malgré leur accommodement plus ou moins grand aux traditions locales allant pour certaines jusqu'à des syncrétismes en marge du christianisme...
SupprimerIl faudrait alors, dans cette perspective, définir précisément, à l'aide de critères non pas théologiques mais anthropologiques ce qui fonde l'unité et l'identité de champ. En mettant en évidence, notamment, au-delà des énormes divergences doctrinales, une vision du monde, incluant une place et un rôle particulier du croyant au sein d'un univers où nature et surnature sont en contact constant, structurée de façon très similaire chez tous les fidèles de ces divers mouvements chrétiens...
... suite et fin dans le message suivant...
Pour en revenir au protestantisme évangélique (incluant, vous l'aurez compris une partie du champ "revivaliste charismatique" évoqué ci-dessus), je pense que le "quadrilatère de Bebbington" s'il peut servir utilement de "base de travail", ne doit pas être considéré de façon trop étroite, car chacun des critères retenus peut être discuté. Ainsi, par exemple, par rapport à la nécessité d'une "conversion" de l'individu, on s'aperçoit que la question est plus complexe qu'il n'y paraît, notamment dans le cas de jeunes élevés dans des familles évangéliques, selon des préceptes évangéliques (mais bon, je passe, ce serait trop long de développer là-dessus...) Pour ce qui concerne l'importance de la Bible, c'est vrai dans l'ensemble, mais pour autant, si l'on en croit le sondage IFOP de 2010 sur le protestantisme en France, 9% des évangéliques affirment ne jamais la lire... Par ailleurs, la place très importante, malgré tout, du texte biblique et de son contenu lors des prédications ne doit pas masquer d'autres usages assez répandus dans les mouvements pentecôtistes-charismatiques et beaucoup moins, voire pas tout, dans les mouvements "piétiste-orthodoxes" (usage de la bible un peu comme "livre d'oracles", pour parler de façon un peu simplificatrice et caricaturale), sans parler d'usages marginaux "magiques" observables dans certaines communautés "néocharismatiques" (brandir ou imposer la bible pour chasser les démons, par exemple). Quant au militantisme, il existe un nombre croissant d'évangéliques qui,tout en se considérant comme tels, ne sont pas engagés dans une Eglise et qui sont peu actifs pour répandre le message chrétien autour d'eux. Malgré cela, il n'en reste pas moins que ces critères, pris ensemble, me semblent assez opérationnels pour caractériser les "évangéliques", y compris le "crucicentrisme", qui est certainement, comme vous le dites avec raison, le critère le plus discutable, mais qui peut s'avérer malgré tout lui aussi opérationnel, comme le signale Sébastien Fath sur son blog (voir le lien ci-dessous), quand il s'agit de comprendre l'engouement de nombreux protestants évangéliques pour le film de Mel Gibson "La passion du Christ", alors que ce film s'apparente plus à une relecture catholique "intégriste" des évangiles à travers le prisme des visions qu'Anna Katharina Emmerick (Anne-Catherine Emmerich), une mystique stigmatisée allemande, béatifiée en 2004, aurait reçues au XIXe siècle...
Supprimerhttp://blogdesebastienfath.hautetfort.com/archive/2006/04/12/les-evangeliques-c%E2%80%99est-quoi.html
Bonjour,
RépondreSupprimerJe vous remercie pour tous ces développements, qui mériteraient être directement dans l'article !
Je suis déjà le blog de Sébastien Fath, je m'appelle "ista", chez lui.
Je plussois qu'il faut trouver d'autres approches que ce que disent les évangéliques sur eux mêmes, mais sans le rejeter.
Le principal problème de ce discours n'est pas seulement que chacun des critères peut être discuté, mais c'est surtout qu'il est conçu par les évangéliques, selon leurs intérêts, leurs logiques, leurs vies. Si l'on ne prend que ça, on risque d'être pris dans leur démarche, et de s'éloigner de la démarche scientifique.
Le principal avantage est que c'est... leur discours :-) ils sont les meilleurs témoins de ce qu'ils font, sauf à les prendre pour des imbéciles, des sectes ou je ne sais quelles autres horreurs. Mais ce n'est pas leur rendre service que de leur dire "amen", en quelque sorte.
Avec votre champ revivaliste, je n'ai aucune idée de si ça va ou pas, mais en tous les cas cela pose bien l'idée que j'essaie de défendre dans mes commentaires. Je suivrai ces développements avec plaisir, si vous les publiez dans votre blog.
Peut être est-il possible aussi de trouver des relations, des continuités dans les discours, les notions employées (un peu comme le fait M. Coulmont avec les affiches, les cravates, micro, "papa", "pasteur", "apôtre"...), ou même dans des choses complètement terre à terre ; ainsi j'ai lu dans une thèse sur les évangéliques du congo immigrants que la durée du culte subit une diminution drastique avec l'installation des migrants ici. Ce critère bête donne une idée du degré d'installation des membres d'une église congolaise en europe.
Mais tout cela fait des marqueurs, des repères, pas des composantes. Votre champ revivaliste pourrait, lui, faire composante.
Bref. Donc, on comprend que les journalistes puissent se tromper un peu :-)
Cordialement.
Cher Juki (ou peut-être devrais-je dire "cher Ista"),
SupprimerAinsi vous êtes celui-ci dont je lis régulièrement les commentaires très souvent pertinents et parfois un peu "poil à gratter" sur le blog de Sébastien Fath. Soyez le bienvenu sur celui-ci qui n'est malheureusement pas aussi riche, d'autant que je suis loin d'être aussi actif que mon collègue (je me demande souvent comment il fait pour être aussi productif...)
Sinon, pour rebondir sur votre remarque à propos de la diminution de la durée de culte d'un certain nombre d'Eglises congolaises en Europe par rapport à des Eglises du même genre en Afrique (observation faite sauf erreur de ma part par Sarah Demart dans sa thèse tout à fait remarquable), je ne suis pas sûr que cela donne, ainsi que vous le suggérez, "une idée du degré d'installation des membres d'une Eglise congolaise en Europe"? Il me semble qu'il s'agit là, plutôt d'un indicateur du degré de volonté des responsables de ces Eglises d'ouvrir celles-ci aux Européens, en modérant au maximum l'expression des marqueurs culturels les plus à même de dérouter ou de rebuter ces fidèles potentiels. Cela ne me semble pas tout à fait la même chose. Des Eglises issues de migrations en France et en Europe peuvent tout à fait être intégrées, voire même installés, dans le champ protestant autochtone et dans le paysage religieux en général (et leurs fidèles eux-mêmes tout à fait bien intégrés socialement) tout en restant - malgré les discours prônant l'ouverture à tous, quelle que soit leur origine - des communautés regroupées autour d'une langue et de valeurs culturelles communes. On le constate dans le cas des Eglises hmongs citées ci-dessus, fréquentées presque uniquement par des Hmongs (hormis dans le cas de couples mixtes) mais on aurait pu citer tout aussi bien la FPMA malgache...
...la suite dans le message suivant...
Désolé, mes réponses sont trop longues pour être publiées en une seule fois. La suite donc:
SupprimerDans le cas des Eglises évangéliques issues de l'immigration africaine, ce que l'on constate c'est que, conformément au discours communément tenu dans ces Eglises visant à l'évangélisation des Européens (la "Mission en retour"), beaucoup de responsables d'assemblées qui prennent ce discours au sérieux (alors que d'autres, malgré ce discours affiché, ne cherchent pas à dépasser le cadre communautaire), tendent à se rapprocher, pour ce qui concerne les cultes, du "modèle" européen (utilisation exclusive ou quasi-exclusive de la langue française, modération des marqueurs culturels musicaux ou chorégraphique, et effectivement diminution plus ou moins drastique de la durée des célébrations). Ces tentatives sont plus moins couronnées de succès, mais, selon moi, ce sont celles qui arrivent le mieux à maintenir un équilibre entre une "forme" acceptable pour des Européens et une expression spécifique considérée comme "africaine" (par les fidèles africains eux-mêmes comme par les Européens) qui sont les plus multiculturelles et multiethniques. Ainsi j'ai assisté dernièrement en Bretagne à un culte évangélique charismatique célébré par la fondatrice de l'Eglise en question (Eglise indépendante, non intégrée dans le champ protestant institutionnel), une femme pasteur originaire du Burundi. Ce culte, à quelques détails près, aurait pu être le même dans une Eglise charismatique autochtone avec un pasteur français blanc. Or, il s'avère que l'assemblée d'une trentaine d'adultes était composée d'autant de fidèles d'origine africaine que de Bretons blancs.
A contrario, je connais plusieurs Eglises issues de l'immigration africaine qui échouent à fidéliser les quelques Français blancs qui les fréquentent, malgré la volonté effective des responsables de modérer certaines particularités culturelles, car les cultes et autres célébrations restent trop marquées pour que les autochtones s'y sentent à l'aise (sauf exception). La difficulté pour les pasteurs africains consiste à ne pas aller trop loin dans la ressemblance avec le modèle européen pour que les fidèles d'origine africaine puissent continuer, eux, à - si je puis dire - "y trouver leur compte". C'est, je pense, cet équilibre qu'ont essayé de trouvé les responsables de la Fédération aujourd'hui membre de la Fédération Protestante de France, la CEAF (la Communauté des Eglises d'Expressions Africaines de France)...
A contrario, on peut faire l'hypothèse qu'une des raisons du succès auprès des "autochtones" d'une Eglise comme l' "Ambassade de Dieu" fondée en 1994 en Ukraine par le pasteur nigérian Sunday Adelaja (aujourd'hui environ 100.000 fidèles dans tout le pays, en très grande majorité des Ukrainiens blancs), réside dans le fait que cette Eglise n'a apparemment, selon les observateurs, pas grand chose de spécifiquement "africain" culturellement.