Alors que le protestantisme évangélique et pentecôtiste dans les milieux africains en France est désormais bien étudié par divers chercheurs en sciences sociales, cela n'est absolument pas le cas en milieu tamoul, ainsi que le rappelle très justement l'historien Sébastien Fath dans une note récemment publiée sur son blog : http://blogdesebastienfath.hautetfort.com/archive/2015/08/11/territoires-circulatoires-evangeliques-tamouls-5669444.html.
Il y aurait là un passionnant objet de recherches sur le " terrain" parisien pour un sociologue ou un ethnologue - a fortiori, un magnifique sujet de thèse pour un doctorant. On sait encore très peu de choses sur l'évangélisme tamoul en France, sinon qu'il s'est développé surtout à partir de 1983, lorsque la guerre civile opposant le mouvement séparatiste des "Tigres tamouls" au gouvernement sri lankais a poussé des dizaines de milliers de Tamouls sri lankais à l'exil vers l'Inde ou le Canada, mais aussi vers divers pays européens, notamment vers la France. C'est principalement en région parisienne que la population en question, estimée aujourd'hui à environ 150 000 personnes, s'est installée, comme le signale Anthony Goreau-Ponceaud ("A. Goreau-Ponceaud, "L'immigration sri lankaise en France. Trajectoires, contours et perspectives", Hommes et migrations, n° 1291, 2011 disponible en ligne ici. Voir aussi les autres articles du dossier consacré par ce numéro de la revue Hommes et migrations à la diaspora sri lankaise : ici).
Si la majorité de ces migrants sri lankais est de religion hindoue (11 des 14 temples hindous d'Île de France ont été bâtis par des Tamouls sri lankais, selon A. Goreau-Ponceaud), une minorité non négligeable est chrétienne : catholique surtout, mais aussi protestante, s'inscrivant notamment dans le courant pentecôtiste. De fait, alors que des communautés de langue tamoule sont accueillies au sein d'Eglises pentecôtistes locales (Eglise apostolique, Eglise de Dieu, Assemblées de Dieu), d'autres fondent des assemblées indépendantes (dont le nombre aujourd'hui n'est pas connu précisément - pas plus que le nombre de fidèles).
Toutefois, si la plupart de ces Eglises sont d'apparition relativement récente, la plus ancienne assemblée fondée en France par un missionnaire sri lankais date des années 1950. Il s'agit de l'Eglise de pentecôte primitive, sise aujourd'hui à la Courneuve, créée par le pasteur Benjamin Selvaratnam (1913-2004). En effet, c'est en novembre 1952 que ce dernier arrive en France afin d'y implanter une oeuvre missionnaire pour le compte de la Ceylon Pentecostal Mission (CPM), une des principales dénominations pentecôtistes du Sri Lanka (il s'agit probablement là d'un des plus anciens exemples de "mission en retour", du Sud vers le Nord, pour ce qui concerne le champ pentecôtiste sur le sol français!)
La biographie de ce pasteur au parcours étonnant est rapportée en détail dans deux livres. Le premier est un ouvrage autobiographique, co-écrit avec Colette Beuvain et publié en 1985 : J'ai dit oui à Dieu (Lillebonne, éditions Foi et Victoire) qui retrace l'histoire de vie de B. Selvaratnam, de sa naissance à Colombo en 1913 dans une famille tamoule chrétienne à son arrivée en France en 1952, en passant par sa conversion dans la cadre de la CPM à l'âge de 17 ans.
L'autre ouvrage, écrit après la mort de B. Selvaratnam par son épouse française, Marie, et intitulé : Un Dieu si proche (Lillebonne, éditions Foi et Victoire, 2012) évoque notamment les événements qui ont jalonné la vie du missionnaire sri lankais après son arrivée en France : après avoir implanté une première "Maison de la Foi" à Dieppe en janvier 1953 et débuté à partir de là une oeuvre en région parisienne, B. Selvaratnam établit une Eglise à Paris en 1956 pour le compte de la CPM. En 1960, toutefois, le pasteur Selvaratnam quitte la Ceylon Pentecostal Mission (1). Il se marie cette même année avec une jeune fidèle française et intègre l'Eglise apostolique (EA), une des plus anciennes Eglises pentecôtistes en France, débutée au milieu des années 1920 par des missionnaires gallois. Il sera pasteur de l'EA tout le reste de sa vie, et en deviendra même un responsable éminent. Après avoir fondé en 1961 l'assemblée de la rue Turgot (Paris 9), il est envoyé à partir de 1964 sur divers champs missionnaires : au Liban, au Sri Lanka et, de 1969 à 1978, à Madras en Inde (il y aurait rencontré Selvaraj Rajiah, futur pasteur fondateur de l'Eglise Paris Centre Chrétien, et lui aurait conseillé d'entreprendre des études au Collège Biblique de l'Eglise apostolique, à Kolding au Danemark. Information à vérifier, voir ici).
Quant à l'assemblée fondée en France par Benjamin Selvaratnam pour le compte de la CPM, elle fut reprise en main après 1960 par d'autres missionnaires de l'Eglise sri lankaise et perdure encore aujourd'hui. Installée depuis le début des années 1980 à La Courneuve (93), elle rassemble des fidèles de diverses origines : des Tamouls sri lankais et indiens certes, mais aussi des Africains, des Français d'outre-mer et quelques "autochtones", selon ce que rapporte le sociologue Bernard Urlacher qui a consacré un long chapitre (pp. 75-118) à cette assemblée dans son ouvrage auto-édité : Pentecôtistes et évangélistes : prier, prophétiser, parler en langues, témoigner, internet (2005).
Curieusement, cette Eglise, probablement inconnue des milieux protestants français, avait déjà fait l'objet d'une première enquête dans le domaine des sciences humaines dans les années 1990. Certes, l'Eglise en question n'est pas nommée dans l'ouvrage qui a résulté de cette recherche (il s'agit de : Glossolalie : discours de la croyance dans un culte pentecôtiste, Paris, L'Harmattan, 1997, de Nathalie Dubleumortier), mais plusieurs indices au fil des pages ne laissent aucun doute au lecteur attentif quant au fait qu'il est question dans cet ouvrage de l'Eglise de pentecôte primitive, implantation missionnaire de la CPM en France.
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1. Cette rupture ne fut pas sans conséquences sur le fonctionnement de la CPM dans la mesure Benjamin Selvaratnam était un haut dirigeant de l'Eglise en question (voir Michael Bergunder : The South Indian Pentecostal Movement in the Twentieth Century, Cambridge, Eerdmans Publishing Co, 2008, p. 41).
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